Rencontre avec Cathy YTAK

Rencontre avec Cathy YTAK autour de son nouveau roman «  Têtes hautes »

Jeudi 10 novembre, 3 classes du lycée Maupertuis (les 1ère ST2S B, les 2de B et les 2de D) ont eu la chance de rencontrer Cathy YTAK, autrice d’un très beau roman Têtes hautes paru chez Talents Hauts.

Son récit choral et engagé, ancré dans la réalité sociale, illustre un combat pour l’émancipation et la justice sociale à travers le portrait de 4 femmes profondément humaines qui appartiennent à des milieux sociaux différents, qui se croisent sans jamais se rencontrer. Le roman écrit en trois ans et se déroulant pendant les Années Folles a nécessité des années de recherche documentaire. De construction non linéaire, il se focalise sur le mouvement social des Penn Sardins à Douarnenez en six mois intenses condensés, avec des allers-retours entre le Finistère et la capitale. La jeune Yarig en tête de la grève incarne un bel instinct de survie et son destin l’éloigne de sa sœur, Angèle, petite bonne maltraitée à Paris, qui suscite immédiatement l’empathie du lecteur.

Les élèves avaient préparé des mises en voix expressives en écho à la lecture offerte de Cathy YTAK qui a expliqué aux élèves la genèse de l’œuvre ainsi que sa vision des personnages sans oublier les résonances de son roman avec l’actualité : les luttes d’hier font écho à celles d’aujourd’hui, le thème de la désespérance au travail et l’interrogation sur le genre à travers le personnage de Carol, enfin la sororité comme rempart contre l’oppression…

De riches échanges au CDI et en salle théâtre ont donc ponctué la journée bien remplie. Les élèves avaient préparé des questions  et Cathy YTAK a joué le jeu en répondant à celles-ci tout en ajoutant des anecdotes plaisantes qui ont retenu leur attention.

Article rédigé par Céline Cornec, professeure de lettres

Interview des élèves de 2D (avec Mme Bineau, professeure de lettres)

1. Où habitez-vous actuellement ? Et avez-vous vécu à Douarnenez ?

Je n’ai jamais vécu à Douarnenez mais j’y suis allée de nombreuses fois afin de visiter la ville et surtout de m’imprégner de l’ambiance, de l’odeur et de tous les petits détails de la ville pour mon livre  Têtes Hautes. Je voyage aussi en France et en Europe pour parler de mes livres. Aujourd’hui, je vis à Saint-Malo et ce depuis 10 ans.

2. À quel âge avez-vous eu envie d’écrire des livres ?

J’ai eu envie d’écrire des livres depuis toute petite car petite, j’avais du mal à m’intégrer, et mon moyen de communication était l’écriture. Cela me protégeait du monde et des autres. Écrire était mon seul moyen de m’exprimer. J’ai donc écrit mes premiers livres très jeune, mais en les gardant dans un tiroir. Ce n’est qu’à l’âge de trente ans que j’ai publié mes premiers livres, sur les conseils d’amis qui avaient lu mes textes.

3. Qu’est-ce que vous aimez dans ce métier ?

J’aime la liberté de pouvoir écrire pendant 20h de suite et après, pouvoir ne rien faire pendant plusieurs jours. Quand j’écris, je perds facilement la notion du temps tellement je suis absorbée par l’écriture.

4. Quels sont vos rituels d’écriture ?

Je n’en ai pas. Par contre, j’ai une manière particulière de travailler. Je n’écris jamais mes livres dans l’ordre chronologique. Je réfléchis à la structure générale de mon roman, à son plan, puis j’écris les scènes comme elles me viennent, en fonction de mes envies. Ensuite, je remets les scènes dans l’ordre. Autre particularité : je ne relis jamais mes notes de la veille parce que cela me ferait perdre du temps.

5. Combien de livres avez-vous écrits ?

Trente-huit.

6. Pourquoi vos livres sont-ils destinés à des adolescents et non à des adultes ? Pour vous, quelles sont les différences entre les romans jeunesse et les romans pour adultes ?

Je n’écris pas de romans pour des adultes ou pour des enfants ; j’écris des livres qui s’adressent à tous. Je n’aime pas cette distinction faite par les éditeurs ou les libraires, car lorsque je dis au public que je rencontre qu’il s’agit d’un roman jeunesse, il y a certains adultes qui se disent : « Que vais-je faire avec un livre pour adolescents? »  Donc, dorénavant, je ne dis plus pour quel âge sont destinés mes livres.

7. Quel est l’auteur qui vous a le plus inspirée (si vous en avez un) ?

Aucun auteur ne m’a vraiment inspirée parce que je n’aime pas regarder ce que font les autres et dire : « c’est bien, je pourrais faire de même ». Au contraire, cela m’aide à ne pas faire les erreurs que certains auteurs font.

8. Quelle est votre maison d’édition et en êtes-vous satisfaite ?

J’ai publié plein de livres dans plusieurs maisons d’éditions différentes dont : Talents hauts, Nathan et Rouergue. Cependant l’entente entre les auteurs et les éditeurs n’est pas toujours parfaite mais j’essaye toujours de m’arranger afin que mon travail se passe dans la bonne humeur.

9. Etiez-vous forte en Français à l’école ou bien pas du tout ?

Non, je n’étais pas bonne à l’école, même si mes professeurs de français me voyaient toujours écrire. Mais comme je ne faisais pas exactement ce qui était demandé, ils ne savaient jamais comment noter ma copie. Néanmoins, ils m’ont toujours encouragée à écrire. J’ai donc quitté l’école sans avoir le Bac. Je voulais apprendre un métier manuel. Je rêvais de devenir luthière, pour fabriquer des instruments de musique. Mais à l’époque, la formation n’était ouverte qu’aux garçons, je n’ai donc pas pu y entrer. Alors j’ai fait un CAP de reliure.

10. Cathy Ytak, est-ce votre nom ou un pseudonyme d’écrivaine ?

C’est un nom que je me suis choisi. Il ne s’agit ni d’un nom de plume ni d’un pseudonyme, mais bien du nom que je porte à l’état civil et qui est maintenant marqué sur ma carte d’identité. C’est un palindrome, c’est-à-dire un nom qui peut se lire indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche. Et j’aimais bien la référence à Ulysse avec Ytak.

11. Combien gagnez-vous pour un livre ?

Cela ne me rapporte pas beaucoup d’argent. Je ne gagne que quelques centimes par livre vendu… Ce qui me rapporte le plus, ce sont les visites dans les écoles ou quand je suis invitée chez les libraires pour une rencontre ou une signature. Pour Têtes hautes, par exemple, je n’ai touché que 1500 euros alors qu’il m’a pris trois ans à écrire !

12. D’où vous est venue votre inspiration pour Têtes hautes ?

Je me suis inspirée de ma grand-mère et de la révolte des sardinières de 1924 qui a duré 42 jours. J’ai eu l’idée de commencer ce livre il y a trois ans pour pouvoir raconter son histoire et l’histoire des femmes de l’époque. Ma grand-mère était une femme très rebelle et assez libre. Elle avait sa propre boutique, elle fumait et portait des pantalons. Je m’en suis inspirée pour le personnage de Carol.

13. Combien de temps vous a pris l’écriture de ce livre ?

Comme je l’ai dit, ce roman m’a demandé trois années de travail. Comme il s’agissait d’un roman historique, chaque détail comptait et nécessitait que je vérifie son exactitude. Par exemple, quand Angèle allume la lumière dans sa chambre de bonne à Paris, appuie-t-elle sur un bouton ou allume-t-elle une bougie ou une lampe à huile ? Et que fait Yarig de son côté en Bretagne ? L’électricité existait bien dans la capitale à l’époque, mais pas en Bretagne où l’on s’éclairait encore à la lampe à huile. Par contre, les rues de Douarnenez étaient éclairées par des lampes à gaz. Voilà, c’est un exemple pour montrer que je ne pouvais pas dire n’importe quoi et que j’ai passé beaucoup de temps pour faire ces recherches historiques.

14. Qu’avez-vous ressenti en l’écrivant ?

J’ai ressenti beaucoup de plaisir à l’écrire mais ce livre m’a aussi pris beaucoup de temps et d’énergie. De plus, corriger est long. Il y a beaucoup de va-et-vient entre l’auteur et l’éditeur qui demande telle ou telle correction. C’est fastidieux ! Et le moment que j’aime le moins, c’est après avoir envoyé le livre à l’imprimeur, avec le « bon à tirer », l’attente est très longue. Il ne se passe rien pendant plusieurs mois. Je n’ai pas encore le droit de parler du roman puisqu’il n’est pas publié. C’est un moment très pénible pour moi parce que le livre n’a pas encore d’existence matérielle.

15. Pourquoi avoir intitulé votre roman Têtes hautes ?

Ce n’est pas moi qui ai choisi ce titre mais mon éditrice qui me l’a proposé et j’ai accepté car dans mon livre, les femmes relèvent la tête et se battent pour leurs droits.

16. Comment avez-vous trouvé les prénoms de vos personnages ?

Pour Carol, je voulais un prénom qui puisse fonctionner au féminin comme au masculin. Yarig n’est pas un prénom, mais un surnom. Il signifie « petite poule » en breton. Et j’aimais bien le prénom d’Angèle. Il y en avait beaucoup dans les années 1920.

17. Pourquoi avoir mis cette illustration en première de couverture ? Pourquoi pas aussi Paris ?

Ce n’est pas moi qui ai fait la première de couverture, mais une illustratrice choisie par mon éditrice : Julia Wauters. Elle vit à Nantes et était plus intéressée par représenter la Bretagne et la mer plutôt que Paris. Donc il n’y a que Douarnenez sur la couverture. Elle a choisi deux couleurs : le rouge et le noir. Le rouge, c’est pour le communiste et le noir pour l’anarchie. Elles représentent la lutte.

18. Aimez-vous votre roman ? En êtes-vous fière ?

A partir du moment où il est vendu, je ne peux plus rien en dire. C’est aux lecteurs de le dire !

19. Pourquoi ce livre parle-t-il du féminisme ? Pensez-vous avoir vous-mêmes été victime du patriarcat ?

Ce livre parle du féminisme car il se passe dans les années 1920, quand les femmes n’avaient pas de droits. Par exemple, elles ne pouvaient pas porter des pantalons mais devaient mettre des jupes ou des robes. Elles n’avaient pas le droit de conduire, elles n’avaient pas de carnet de chèques et le mari gagnait plus que la femme. Je n’ai pas le sentiment d’avoir été victime du patriarcat, sauf quand j’ai voulu rentrer dans cette école pour devenir luthière et que je n’ai pas pu car c’était une formation réservée aux garçons.

20. Avez-vous des idées pour vos prochains livres ?

Je ne veux pas parler des livres que je suis en train d’écrire avant qu’ils soient publiés. Par contre, je peux vous dire qu’un dessinateur de bande dessinée est intéressé par l’idée de transformer mon roman Têtes hautes en B.D. Cela me réjouirait beaucoup !